Nouvelle-Calédonie, classe 78/02
J’ai commencé par un stage de huit jours qu’ils appelaient stage commando. Je me doutais bien que ça devait être pire pour les vrais, mais on avait les peintures de guerre et la boue qui va avec. Quitte à faire venir un camion-citerne. On rampait sous le tir d’une mitrailleuse 12,7. Sous les barbelés, on n’a eu aucune perte à déplorer car on ne rampait pas, on creusait, morts de trouille, en s'enfonçant dans le sillon de boue rouge du précédent. Le vacarme était étourdissant et le sifflement des balles terrifiant. Bien sûr, ils tiraient haut, on le savait mais ça ne nous a jamais aidé. Le plus dur, c’était de ne surtout pas salir mon Pistolet Mitrailleur. Le PM était l’arme du Radio. J’aurais préféré un bon vieux FSA, plus lourd mais bien plus précis,avec un joli bois que j’aimais polir la nuit pendant les punitions. A la sortie le Sergent-Chef Pietri nous attendait très impatiemment, on n’allait jamais assez vite pour lui. Il vérifiait scrupuleusement chaque arme. Á sa décharge, un canon plein de boue ne sert plus à grand-chose :
- Et allez traverser la rivière. Jamais vu des soldats aussi sales.
On la traversait, l’eau jusqu’au menton, les armes au-dessus de la tête, bien sûr. La rivière était large, marron, vaseuse et infestée de serpents verts et longs particulièrement agressifs nous avait-il prévenus avec un sourire cruel. Une fois sur l’autre rive, à moitié moins boueux et les rangers pleins de vase :
- Demi-tour ! Et n’oubliez pas la tête et le casque !
Le bon vieux Fusil Semi-Automatique et mon foutu PM
J’ai adoré la tyrolienne même si on devait sauter à cinq mètres dans l’eau en treillis et rangers, mais je préférais vu ce qu’il y avait dessous. J’ai aimé les jeux de cordes, les pneus, les franchissements d’obstacles, les cours de close-combat, d'égorgements silencieux, les courses d’orientation, l’art du camouflage. J’étais mort de fatigue, mais je ne cessais de me surpasser avec étonnement, là où des montagnes à glace échouaient. Je passais les épreuves avec succès, toujours bluffé par la prodigieuse imagination des créateurs du long, vraiment long, parcours d’obstacles et d’accrobranche copiés des années plus tard pour des comiques qui se la raconte.
Par contre, j’ai eu un blocage à huit mètres de haut sur un étroit pont de planches mal posées avec un énorme trou au milieu :
- Exécution !
Le mot m’a semblé bien choisi. Je suis resté paralysé, les ongles enfoncés dans l’écorce, les yeux rivés sur le gouffre à sauter avec mon sac de combat, ma radio et mon foutu PM que j’avais déjà pris trois fois dans la figure.
- C’est facile. Tu as tout fait, tu peux le faire.
Il était sympa le Lieutenant Meynard. Il nous fournissait en gnôle tous les soirs. Il nous motivait gentiment en nous disant tout le temps que c’était presque fini.
- Je n’y arriverai jamais mon Lieutenant.
- Pourquoi ?
- Je suis trop lourd ! Il doit y avoir trois mètres à sauter ! Sans filet ! Je préfère la taule à la mort.
Je me voyais écrasé huit mètres plus bas, le corps désarticulé, dans les sept pour cent de pertes autorisées.
- Négatif, il y a exactement un mètre cinquante. Tu as sauté bien plus loin ! Allez, avance et tu vas voir.
De mots en sourires rassurants, je me suis approché du trou.
- Regarde, un mètre cinquante. De la rigolade. Regarde-moi.
Je ne l’ai plus quitté des yeux.
- Tu recules. Tu inspires. Et tu sautes ! Oui !!
Il m’a recueilli dans ses bras, on s’est très vite séparé :
- Merci mon Lieutenant.
- Du bon boulot Pélier. Maintenant dans l’autre sens.
PS :
18 mois après, je n'ai pas voulu me rengager grâce à Boris Vian qui m'a chanté la veille de la plus grande hésitation de ma vie :
"Je ne suis pas né pour tuer de pauvres gens
Messieurs les Présidents, s'il faut verser le sang
Allez verser le vôtre."
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